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Le cœur battant de nos mères

Brit Bennett

Traduction: Jean Esch

Edition: Autrement (broché)

Prix: 20.90 euros

Où?  Place des libraires

337 pages

Offert lors de la participation aux Explorateurs de la rentrée littéraire d'Orange lecteurs

Le cœur battant de nos mères
Le cœur battant de nos mères

En découvrant le premier roman de Brit Bennett je m'attendais à une histoire féminine certes, mais aussi féministe de par son sujet: l'avortement. Hélas, contrairement aux commentaires des nombreux journaux et critiques, je n'ai pas été happé ni par le style ni par l'histoire. "Une histoire pas comme les autres" dixit Vogue, oui, mais pas "le roman le plus excitant de cette année!" par LA Times. Effectivement, aborder ce sujet est audacieux mais l'angle est parfois dérangeant malgré une volonté de marquer les esprits.

Dans la banlieue de San Diego, Nadia à dix-sept ans lorsqu'elle tombe amoureuse de Luke Sheppard le fils du pasteur de sa paroisse. En débutant une liaison cachée ils ne se doutaient pas que Nadia tomberait enceinte et avorterait aussi rapidement. Admise à l'université du Michigan elle compte bien venger le destin de sa mère suicidée six mois plus tôt à qui cet avenir a été refusé. Mais voilà malgré le choix, l'avortement est une décision bien difficile à assumer surtout lorsqu'on fait partie d'une communauté aussi religieuse que la leur. En trouvant du réconfort auprès d’Aubrey une jeune bénévole de la paroisse, Nadia trouve en l'amitié le salut le temps d'un été. Le poids du secret entre Luke et Nadia, l'amitié ambivalente et les amours contrariés vont faire, durant des années, la vie dure de ses personnages.

En commençant ce récit j'ai d'abord été désarçonné par l'époque, non seulement je pensais que l'histoire se déroulait dans les années 50 mais j'ai été choqué par l'excès de religion et de communautarisme. Si effectivement l'histoire se passait à cette époque j'aurais pu comprendre, mais non, le récit se déroule bien à notre siècle. Surprise, je me suis interrogée si ces excès sont une volonté propre de l'auteure pour soulever la question religieuse et raciale ou un effet de communautarisme récurrent aux Etats-Unis. Puis j'ai réalisé que le thème de l'avortement était un moyen de parler de ses sujets, toutefois un profond malaise persiste. La religion dominant, j'ai l'impression que les personnages n'ont pas le choix de croire ou pas. La communauté prenant le pas sur le reste, des barrières sont érigés entre "noirs", "blancs", "latinos"... L'auteure désigne les personnages par leur couleur de peaux, non par leurs caractères ou autres désignations. Je suis restée perplexe quand j'ai lu que Nadia n'aimait pas les fêtes de "blancs", mais qu'est-ce qu'une fête de blancs ou de noirs? Toutefois je comprends tout à fait le raisonnement comme quoi "les jeunes Noirs ne pouvaient pas se permettre d'être intrépides (...) Les jeunes Blancs intrépides finissaient politiciens ou banquiers, les jeunes Noirs finissaient à la morgue" suite à l'héritage historique et aux vus des derniers événements notamment à Ferguson.

S'ensuit la question de l'avortement qui devient l'élément central du roman puisque tous les personnages gravitent autour. Je suis un peu dubitative quant à l'impact que cet acte à sur les vies de Luke et Nadia, non pas que je minimise la procédure qui est discutable mais les conséquences qui les lient à tout jamais. Je consens la peine mais trouve exagéré de lire que Luke fait son "deuil" de père. Etre père ne se produit-il pas lors de la venue au monde d'un bébé? N'est-il finalement pas nostalgique d'une époque où il maîtrisait sa vie, veut-il se complaire dans une vie de famille imaginée comme si la vie de famille est forcément une position sociale "normale"? Quand à Nadia en faisant ce choix et en y repensant régulièrement n'est-elle pas tout simplement en quête de son amour perdue?

A travers un troisième axe qu'est l'amitié entre Aubrey et Nadia, l'auteure m'a immédiatement fait penser au roman d’Elena Ferrante, "L'amie prodigieuse". Cette amitié improbable entre deux jeunes filles aux caractères différents, où l'ambiguïté pointe le bout de son nez pour finalement développer une certaine jalousie et rancœurs m'a assez plu. D'ailleurs pour moi, de cet aspect plus intéressant et profond, se dégage une plume forte et mieux maitrisée que le reste du roman. Je trouve dommage que l'auteure n'est pas creusée plus que ça et n'en dégage pas plus d'émotions.

Pour finir, j'aurais aimé connaître la raison du suicide de la mère de Nadia. Je comprends la volonté de l'auteure de n'en faire qu'un événement mineure pour expliquer le comportement de Nadia, ses réflexions sur ces propres choix et sa situation familiale mais il est vrai qu'une fois ma curiosité piquée j'aurais aimé qu'elle soit assouvie. Néanmoins ce qui est bien choisie est l'emploi du "nous" pour raconter l'histoire. En utilisant les "mères" de la paroisse, Brit Bennett prends un certain recul pour retracer l'affaire et n'en faire qu'un fait puisque finalement en parlant de Nadia, elles parlent d'elles-mêmes.

Un roman qui soulève bien des questions sans toutefois y répondre, un style plutôt fluide mais sans véritable patte, je reste perplexe face à ce scenario qui avait l'air prometteur. Je ne sais pas si j'ai aimé ou pas, si j'ai compris où la romancière voulait en venir mais en tout cas il a le mérite de m'avoir interloqué et n'est-ce pas le but d'une lecture? Encore merci au site lecteurs.com pour cette découverte lors de ma sélection en tant qu'Exploratrice de la rentrée littéraire, j'aime, j'aime, j'aime!

Lecture conseilléeIdaho, Andria Williams

Le cœur battant de nos mères
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B
Suite au commentaire sur mon blog, je suis venue ici lire la chronique pour voir nos divergences ^^<br /> Et je comprends que le roman puisse être vue comme cela. D'ailleurs, dans les premières pages je me suis aussi posé la question de cette communauté. Mais, c'est pourtant bien une réalité. Quant aux barrières raciales, je pense qu'elles sont purement représentatives des Etats Unis et des petites villes très communautaires. Enfin pour le deuil de Luke, je le comprends aussi totalement... vu l'éducation religieuse. En effet, il ne s'agit pas pour lui d'un foetus mais bien d'un être humain et le poids de la culpabilité est énorme. (Je ne dis surtout pas qu'ils ont raison de voir les choses comme ça hein, je suis plutôt féministe et pour le droit à l'avortement). Au plaisir d'échanger :)
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L
C'est chouette d'avoir des retours et des avis différents! On a vécu l'histoire différemment et il est intéressant de voir nos divergences comme nos accords. J'aime! lol Merci d'avoir pris le temps de lire cet article et d'écrire. A bientôt j'espère.