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Tout ce qu'on ne s'est jamais dit

Celeste Ng

Traduction: Fabrice Pointeau

Edition: Sonatine (broché) / Pocket (poche)

Prix: 19 euros (broché) / 6.95 euros (poche)

Où?:  Place des libraires

344 pages

Emprunté à la médiathèque

 

Tout ce qu'on ne s'est jamais dit
Tout ce qu'on ne s'est jamais dit
Tout ce qu'on ne s'est jamais dit
Tout ce qu'on ne s'est jamais dit
Les éditions Sonatine ont manifestement beaucoup de flair ! Créé en 2008, la maison d'édition à donné un sérieux coup de pied dans la fourmilière en proposant une ligne éditoriale nouvelle, moderne et terriblement efficace. Des couvertures reconnaissables, des suspenses percutants en passant par des thrillers haletants, Sonatine est un découvreur de talents. Et quels talents ! Cette fois-ci, c'est un roman noir qui est mis à l'honneur avec "Tout ce qu'on ne s'est jamais dit" de la nouvelle et très douée auteure Celeste Ng. Au-delà d'un roman noir, il s'agit d'un récit social de l'Amérique des années 70 où la différence, le féminisme et le malaise adolescent sont explorés de manière subtile, intelligente et clairvoyante.

L'histoire, de premier abord est simple. Le 3 mai 1977 dans l'Ohio, Lydia Lee seize ans est morte. Pas de suspense, pas de questions, sinon une: pourquoi ? Car rien ne semble indiquer que Lydia est victime d'un meurtre. Le corps rapidement retrouvée gisant au fond du lac municipal à quelques pas de la demeure familiale ne présente aucun signe particulier. Alors, meurtre soigné, accident, suicide ? Les membres de la famille Lee vont chacun leur tour, remonter le fil des événements, chercher à comprendre et peut-être expliquer le drame. D'apparence unie, la maisonnée va devoir exorciser ses secrets, affronter la vérité et se confronter à eux-mêmes.

Composée du père James, de Marylin la mère et de leurs trois enfants, l'auteure commence sont récit par raconter l'histoire paternelle et maternelle pour expliquer les conséquences inconscientes du drame. Marylin, dont l'ambition est de devenir médecin, se confronte au sexisme ambiant non seulement à la fac, mais aussi au sein du foyer. Sa mère, depuis le départ de son père, est devenue la parfaite femme au foyer américaine et lui suggère surtout de trouver un mari. Quant à James issu de parents Chinois immigrés, éduqués selon le principe rigoureux de l'intégration, grimpe les échelons scolaires jusqu'à devenir doctorant en histoire américaine. Mais à quel prix ? Moqueries, racisme, solitude sont devenus son quotidien. Jusqu'au jour où il rencontre Marylin.

Trois enfants plus tard, Nathan, Lydia et Hannah, les époux Lee ont projeté leurs espoirs, marqués leurs différences en la faveur de Lydia. Jolie jeune fille aux cheveux d'ébène, yeux bleus, scolarité exemplaire, la cadette fait l'admiration des parents et devient l'incarnation de la pression parentale. Lydia veut devenir médecin comme sa mère, a des amis comme le souhaite son père, réussi là où tous ont échoués. Mais qui est réellement Lydia et que désire-t-elle vraiment ?

 

"Un jour, il y avait si longtemps, assise exactement à cet endroit sur le ponton, elle avait déjà commencé à sentir à quel point il serait difficile d'hériter des rêves de leurs parents. A quel point leur amour serait étouffant."

 

Celeste Ng traite avec brio le malaise adolescent, les sentiments refoulés, la pression inconsciente des parents envers leurs enfants. L'incarnation du rêve avorté de sa mère illustre parfaitement l'exigence tout comme le désir d'insertion sociale de James pour Nathan, l'aîné. Le racisme ordinaire et le regard envers le métissage à cette époque sont un autre angle extrêmement intéressant et bien traité. L'auteure utilise avec brio cet aspect pour en expliquer les répercussions générationnelles et disséquer les non dits. Car il s'agit bien de ça finalement, les silences qui font mal, un passé familial tabou, caché, pourquoi ? Par honte, par goût du secret, par pudeur ? Quoi qu'une famille puisse occulter, tout se sait, tout doit se savoir, pour panser ses plaies, avancer et reconstruire. La mort de Lydia a peut-être été l'électrochoc, l'étincelle de lucidité sans le savoir d'une famille en détresse.

 

"Comment est-ce que ça a commencé ? Comme toujours : avec les mères et les pères. A cause de la mère et du père de Lydia, à cause de la mère et du père de sa mère et de son père. Parce qu'il y a longtemps sa mère avait disparu, et son père l'avait ramenée à la maison. Parce que, plus que tout, son père avait voulu se fondre dans la masse. Parce que tout ça avait été impossible."

 

D'une plume fluide et dotée d'un sens de l'observation affûté, Celeste Ng nous offre avec sincérité un regard conscient de la réalité familiale et sociétal. Le racisme ordinaire abordé mainte fois prend ici une tournure nouvelle puisqu'elle s'adresse ici à la communauté chinoise contrairement aux afro-américains ou latinos dont l'histoire est plus connue. En entrant dans cette sphère intime, elle provoque avec facilité une proximité avec le lecteur qui touche du doigt l'essence de cette famille qui pourrait être la leur. Finalement, la disparition de Lydia passe au second plan tant le sujet est placé ailleurs. Là, réside le tour de force de l'auteure: nous aguicher avec un roman noir, une intrigue pour parler de sujets beaucoup plus profonds et importants. Bravo ! Accompagné d'un café à la noisette et d'un tiramisu aux marrons, vous ne résisterez pas.

Lecture conseilléeTrois jours et une vie, Pierre Lemaître

Tout ce qu'on ne s'est jamais dit
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