24 Janvier 2018
Christophe Ono-Dit-Biot
Edition : Gallimard (broché) / Folio (poche)
Prix : 21 euros (broché) / 8.30 euros (poche)
Où ? : Gallimard
Grand Prix de l'Académie Française 2013
Prix Renaudot des lycéens 2013
Emprunté en médiathèque
Parler d'amour aujourd'hui sans tomber dans le pathos ou les clichés n'est pas chose aisée. Pourtant Christophe Ono-Dit-Biot y arrive avec une apparente facilité, ratissant les méandres du cœur comme celles du monde. Roman sur la filiation, l'art, la vie et donc sur l'amour, Plonger entraîne dans les profondeurs d'un reflet, celui d'un homme amoureux, d'un homme qui aime la vie. Comme un puzzle sentimental et artistique, l'auteur donne tous les éléments pour comprendre le début et la fin de ce couple étincelant tout en égratignant la société. C'est beau, lumineux, intelligent et diablement bien construit. Il ne vous reste plus qu'à plonger entre les pages et les magnifiques mots de ce roman à la sensualité étourdissante.
Je commençais à découvrir l'un de ses traits de caractère:l'instabilité d'humeur. Elle passait d'un état émotionnel à un autre avec une rapidité confondante. Cela devait l'aider dans sa vie d'artiste, mais dans la vie conjugale, cela donnait au partenaire l'impression de s'initier au rodéo
L'histoire d'un homme, César, qui apprend que sa femme, Paz, a été retrouvée morte noyée sur une plage du Moyen-Orient. Douleur, souffrance, questions. Que s'est-il passé ? Que faisait-elle là-bas ? C'est en remontant le fil de leur histoire que César tente de raconter leur rencontre, leur amour et sa fin. Il ne l'écrit pas pour lui ou juste un peu, mais surtout pour Hector, leur fils, pour lui décrire cette femme insaisissable, solaire, éprise d'une soif de liberté artistique totale. Qui est Paz, cette Asturienne à la peau caramel, cette photographe à l’œil aiguisé qui voulait parcourir le monde ?
Avec comme quête la beauté et l'émerveillement de la culture, il se dégage de ce roman une luminosité éblouissante qui vacille entre la vie et la mort. D'un raffinement exquis, il y a une certaine forme de brutalité au récit de César qui décrit la vie et la mort de son couple, celle d'un continent et d'un rythme de vie. C'est donc avec tendresse et douleur qu'il reconstitue le portrait de cette femme chérie, pour ce fils qu'elle n'a finalement que très peu connu. Comme un devoir de rétablir une vérité, sa vérité, cet homme parle avec sensibilité d'une mère pour son fils, comme pour la situer dans le monde, lui rendre la place qu'elle mérite malgré sa peur à lui, de ce monde justement.
Le monde vacillait sur ses bases, on parlait de Dieu tout le temps, de Dieu qui allait aider l'Amérique, de Dieu qui appuyait les rebelles sunnites en Syrie. Il devait être débordé, Dieu, tout omnipotent qu'il fût. Oui, ce monde allait mal, et c'était peut-être folie que de donner le jour, dans ce contexte, à un être qui n'avait rien demandé.
Au-delà de l'histoire d'amour et de filiation, c'est aussi cela que j'ai aimé : la critique d'une société en perdition. Tout en égratignant le milieu artistique et journalistique, César raconte le monde d'hier, d'aujourd'hui et probablement celui de demain grâce à des exemples concrets de son ancien métier de reporter. C'est la peur qui est au centre de son univers et le maintien dans une sorte de léthargie forcée. Peur de sortir de l'Europe après avoir été témoin des ravages du monde. Peur d'un mode de communication superficiel au détriment de l'humain. Peur de la fin d'un continent déjà consommé, pour en voir d'autres émergés. Mais finalement est-ce vraiment de la peur ou la célébration de la vie ?
De cet univers artistique, plutôt élitiste, un autre thème s'invite avec toujours cette envie d'expliquer la fin d'un monde : l'écologie. Élément fondateur de ce roman, l'eau, la mer, les requins, sont autant indispensables à Paz que la contemplation. Alors que la mort semble être exhortée, la vie, comme une oeuvre d'art, est éblouissante.
Car je n'ai pas, mon fils, toujours été comme ça. J'ai été nomade, j'ai connu le monde, pigeon voyageur au service de mon appétit d'exotisme, quand j'étais étudiant, puis au service plus prosaïque de l'Entreprise, qui m'employa comme reporter durant quelques années. Loin, très loin, des frontières de l'Europe. Et si, aujourd'hui, j'avais décidé de ne plus bouger, c'est précisément parce que je savais ce qu'il y avait au delà de ces frontières, et que la vie était trop précieuse, et trop courte, pour y retourner.
Documenté, d'une plume généreuse et maîtrisée, la langue est riche malgré quelques longueurs et phrases élitistes. Peu importe, je lui pardonne volontiers ces quelques défauts au profit d'une ponctuation et construction narrative habile. L'amour a rarement été aussi éclatant et mélancolique. A présent il me faut lire la suite, Croire au merveilleux, et enfin regarder le film de Mélanie Laurent tiré du roman.
Pour parfaire ce moment de lecture, des "thumb" coco et gelée de pommes, thé des songes blanc du Palais des thés prolongeront cet instant de pure émotivité.
Lectures conseillées : En attendant Bojangles, Olivier Bourdeaut
Arrive un vagabond, Robert Goolrick
Je l'aimais, Anna Galvada