15 Mars 2018
Jennifer Brown
Traduction : Céline Alexandre
Edition : Hachette jeunesse (poche)
Prix : 6.90 euros
Où ? : Hachette Jeunesse / Place des libraires
412 pages
Emprunté à la médiathèque
Le lycée a du mal à savoir si j'étais plutôt du côté des bons ou des méchants. Je pourrais difficilement leur en vouloir. Je ne le savais plus très bien moi-même. Étais-je le mauvais génie qui avais mis en branle le plan pour éliminer la moitié de son lycée, ou l’héroïne qui s'était sacrifiée pour mettre fin à la tuerie ? Il y a des jours où j'avais l'impression d'être les deux. D'autres, ni l'un ni l'autre. C'est tellement compliqué.
Avec son petit-ami Nick, Valérie file le parfait amour adolescent si ce n'est qu'ils soient régulièrement harcelés par certains de leurs camarades de lycée. En dressant une liste pour s'amuser de tous ceux qu'elle hait, elle ne se doutait pas que cette fameuse liste devienne l'objet de ses cauchemars. Commandité par Nick, c'est dans la cafétéria du lycée que le drame prend la forme d'une fusillade froide et sanglante. Touchée à la jambe en tentant de s'interposer, Valérie assiste au suicide de son petit-ami. Accusée de complicité et désormais blanchie, Valérie ne parvient tout de même pas à comprendre comment une telle chose a pu arriver. L'heure d'affronter les regards commence lors de son retour au lycée...
En se focalisant sur les victimes et non sur le tueur, Jennifer Brown effectue un travail psychologique fouillé. A l'aide de flash-back avant et pendant tuerie, elle tente d'expliquer l'indicible sans jamais juger. Au contraire, à travers sa protagoniste, elle amène à un certain degré de réflexion sur le poids des conventions sociales, surtout pendant l'âge charnier de l'adolescence. Ainsi, Valérie décrit avec justesse le harcèlement scolaire et la marginalisation. La fusillade est le reflet intérieur d'un malaise adolescent face à une vie de famille chaotique, des rivalités et jalousies infondées dont découle une violence morale.
C'est comme ça qu'elle a démarré, cette liste de la haine, aujourd'hui redoutée.Au début, c'était pour de rire. Une façon d'évacuer ma frustration. Sauf que c'est devenu autre chose, qui m'a échappé.
Tous les jours, en cours d'algèbre, on sortait mon carnet et on notait le nom des gens qu'on détestait. (...) De surtout de ceux qui nous humiliaient, nous ou d'autres. (...)
Ces "adolescents modèles" dont nul ne voulait croire qu'ils étaient largement aussi malveillants que les adolescents dits "mauvais". Plusieurs fois, on avait même évoqué l'idée que le monde serait plus facile à vivre si chacun avait sa liste, autrement dit si chacun était considéré comme responsable de ses gestes.
Sans aucune once de clichés la romancière n'utilise en aucun cas le voyeurisme, mais écrit avec sensibilité le cri de détresse qu'une telle situation impose. J'ai beaucoup aimé le questionnement intérieur de Valérie et cette culpabilité qui la maintient dans une sorte de léthargie. L'inversement des rôles de certaines victimes blessées au cours de la fusillade. L'environnement familial de Valérie propice à l'acharnement. Je dois dire que cet excellent livre jeunesse ne porte pas uniquement sur la souffrance, mais aussi sur le pardon. L'importance de pardonner aux autres, mais surtout à soi-même comme laisse présager une fin pleine d'espoir.
Un vrai coup de cœur pour ce livre dévoré en deux jours. Juste, parfois cruel mais toujours sincère, ce roman ne détourne pas le regard et affronte la vérité avec une brillante lucidité.
Pour accompagner ce livre, me demandez-vous ? Une part de forêt-noire et une tisane "Lovely Night" Kusmi tea pour apaiser les tensions devraient faire l'affaire !
Lectures conseillées : Il faut qu'on parle de Kévin, Lionel Shriver
Nous les menteurs, Emily Lockhart