28 Juin 2018
Traduction : Isabelle Maillet
Editions : Presse de la cité
Prix : 21.90 euros
Où ? : Presse de la cité /Place des libraires
Emprunté à la médiathèque
En tant que médecin, j'affirme que le malade recherche avant tout un environnement qu'il est capable de maîtriser. Telle est la position clinique. En tant que malade moi-même (et le mot n'est pas trop fort), j'affirme que l'agoraphobie n'a pas tant dévasté qu'envahi ma vie.
Depuis plusieurs mois dans sa grande maison de Harlem, Anna vit recluse. Agoraphobe depuis un terrible accident, cette pédopsychiatre partage son temps entre boire du Merlot, les échecs, les vieux films en noir et blanc et espionner ses voisins. De sa fenêtre, Anna voit s'installer de nouveaux arrivants : les Russel. Composé de parents et d'un ado, cette nouvelle famille attise immédiatement l'attention de la dépressive qui la laisse entrer subrepticement dans sa vie. Alors qu'un cri venant de chez les Russel déchire le silence, Anna assiste au meurtre de la mère de famille depuis son poste d'observation. Après intervention de la police, un mystère demeure : personne n'a été tué. Hallucination médicamenteuse et alcoolique ? Sûre d'elle, Anna plonge lentement dans la paranoïa. Et si tout cela n'était que le produit de son imagination ? Et si c'était vrai ? Que faire lorsque l'on doute de soi ?
Non seulement j'adore les huis-clos, mais plus encore les vieux films. Et en matière de films, j'ai été servi ! Avec de franches références, A.J Finn m'a entraîné dans un univers en noir et blanc où la réalité se confond à la fiction, dans l'épaisse brume médicamenteuse d'un personnage troublé et troublant. En utilisant Anna comme témoin du meurtre, l'auteur met instantanément les pieds dans le plat, se servant du doute comme levier romanesque.
A chaque page, comme embrumée par les bouteilles de Merlot absorbé par Anna, j'ai moi aussi été victime de la parfaite maîtrise chronologique du romancier. Jour après jour, des certitudes surgissent le scepticisme et la défiance devant un fait pourtant observé. De ce voyeurisme domestique, comment démêler le vrai du faux ?
Personnage central du roman, Anna est d'une fascinante complexité. Ne comprenant que trop bien son état puisqu'elle-même médecin, le vertige est d'autant plus saisissant. Ainsi, faute de convaincre son entourage, arrivera-t-elle à se convaincre elle-même ? Fenêtres fermées, lumières tamisées, c'est dans cette sombre ambiance que le lecteur évolue au même titre que le personnage, au son des dialogues d'un autre temps et des crises d'angoisse impressionnantes.
J'ouvre la porte. L'air et la lumière m'explosent à la figure.
Durant un instant, c'est le silence, comme dans le film... Tout semble aussi figé que le soleil couchant (...).
Puis...
...puis tout se précipite vers moi, enfle en prenant de la vitesse, le monde extérieur est pareil à un bloc de pierre projeté par une catapulte, qui me heurte aux creux de l'estomac avec une telle force, que je me plie en deux sous l'impact.
Du style abouti, illustré par des scènes de crises écrites avec beaucoup de minuties et de réalismes, il me manque un soupçon d'action. En proie à une certaine lenteur, la psychologie prenant le pas sur le rythme, il est toutefois compréhensible que la volonté de l'auteur s'articule autour de la psyché et non de péripéties. Rebondissements, suspicions et retournements de situation entretiennent ainsi nos incertitudes...
Une gorgée de thé noir Saint-Pétersbourg de Kusmi Tea (à défaut de Merlot...) suivi d'un excellent muffin à la confiture de cassis, il ne me manque plus qu'une paire de jumelles et me voilà promise à un bel avenir dans un film monochrome !
Lectures conseillées : Les apparences, Gillian Flynn
Juste une ombre, Karine Giebel