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Les heures rouges - Leni Zumas

Traduction : Anne Rabinovitch

Editions : Presse de la cité

Prix : 21 euros (prix métropole) / 24.15 euros (prix Réunion)

Où ? : Presse de la cité / Place des libraires

Acheté chez Leclerc Culturel

Les heures rouges - Leni ZumasLes heures rouges - Leni Zumas
Rentrée littéraire, quand tu nous tiens ! Qui dit rentrée, dit découverte, et en voici une bien intéressante placée sous le signe de la politique et du féminisme. Je vous vois déjà lever les yeux au ciel, mais rassurez-vous Leni Zumas, loin d'être moralisatrice, utilise avec pertinence sa plume pour dépeindre un pays victime d'une vague conservatrice dans lequel quatre portraits de femmes se font écho. Légèrement d'anticipation, ce récit pourrait être celui de demain et c'est bien cela qui le rend aussi convaincant. Car imaginez un seul instant que l'avortement soit absolument interdit. Que les célibataires n'ai plus droit ni à la procréation in vitro ni à l'adoption, uniquement réservée  aux couples. Que l'image de la femme célibataire soit associée à un caprice ou à la marginalité. C'est ainsi que la romancière à travers la voix de Ro, Susan, Mattie et Gin, quatre femmes au parcours et aspirations différentes, tente de nous alarmer sur la remise en cause des acquis de droits fondamentaux. Il y a du Margaret Atwood dans ce roman, mais il y a surtout une furieuse envie de pointer du doigt les oppresseurs d'hier, surtout d'aujourd'hui et peut-être de demain... 

L'an dernier l'une des élèves de terminale s'est jetée au bas de l'escalier du gymnase, mais, après s'être cassée une côte, elle était toujours enceinte. J'espère, a dit Ro/Miss en cours, que vous savez qui sont les responsables de cette côte cassée : les monstres du Congrès qui ont voté l'amendement sur l'identité de la personne et les lobotomies ambulantes de la Cour suprême qui ont validés l'arrêt Roe v. Wade.
"Il y a deux ans à peine, a-t-elle rappelé - crié, en réalité -, l'avortement était légal dans ce pays, mais aujourd'hui nous en sommes réduites à nous jeter au bas de l'escalier."

Cinq destins pour un même combat

Dans les Etats-Unis de demain, l'avortement est depuis maintenant deux ans strictement interdit. L'adoption et la PMA en passe de l'être également pour les femmes célibataires. A Newville, dans l'Oregon, le destin de quatre femmes vont être intrinsèquement lié face à l'oppression publique. Il y a tout d'abord Ro, quarante-deux ans, prof d'histoire "aux ovaires déficients", qui tente d'écrire la biographie d'Eivor, une exploratrice islandaise du XIXe s. éprise de liberté. Puis il y a Susan, femme de Didier et femme au foyer, reléguée au rang de mère, épouse et femme de ménage, n'aspirant qu'a profiter d'un peu de solitude. Mattie, meilleure élève de Ro, promise à un brillant avenir dans le domaine scientifique qui se laisse dépuceler à l'arrière d'une voiture. Et enfin Gin, guérisseuse et herboriste, marginalisée et accusée de sorcellerie pour venir en aide aux femmes. Celles-ci vont se croiser, s'entraider et parfois se juger, mais toujours faire preuve de détermination.

Au cours de l'évolution, les hommes ont-ils appris à être attirés par les femmes minces parce qu'elles n'avaient pas l'air enceintes ? Des formes voluptueuses laissaient-elles entendre que le corps se consacrait déjà à la survie du matériel génétique d'un autre mâle ?

Avec un style intimiste qui peut parfois étonner, Leni Zumas met les pieds dans le plat ! En ne désignant pas le gouvernement actuel, elle ne fait que renforcer l'image qu'elle a de lui. Au bord du gouffre social, elle dénonce l'utilisation et la non-disposition des corps féminins dans un monde de plus en plus conservateur.  

Sans détour, la romancière montre l'impact de cette mentalité régressive sur le quotidien de ces femmes dont le courage est égal à leur détermination. Avec subtilité, elle suggère, propose, donne des pistes de réflexions au travers de ces quatre personnages, plus un avec Eivor, non seulement par l'écriture, mais aussi le visuel qui couvre la couverture du roman. De celle-ci, aux différentes nuances de rouge qui évoquent le sang, mais aussi l'anatomie féminine, j'y vois aussi le combat. Le combat d'une génération passée et future pour des droits ignorés et bafoués.

J'ai aimé les protagonistes, leurs différences, leur évolution comme leurs relations contradictoires. De l'amertume des unes, d'autres trouvent la force, la force de dire non, de prendre leur destin en main. Chacune définit sa propre féminité et chacune en est la victime.

Des mots jutes, il m'a fallu un petit temps d'adaptation face à la prose parfois déconcertante de l'auteure. Alors que rien n'est laissé au hasard, on se surprend à espérer, trembler et suffoquer auprès d'elles. Ro, va-t-elle réussir à procréer ? Susan arrivera-t-elle à s'imposer ? La vie de Mattie sera-t-elle réduite à une erreur, et Gin sera-t-elle jugé coupable de sorcellerie ? Autant de questions que de réponses, et plus dans ce très bon roman écrit dans l'urgence d'une situation problématique.

Face à un sujet aussi préoccupant et pour mieux coller à l'esprit du livre, je vous propose un mille-feuille à la framboise ainsi qu'un thé blanc en toute subtilité.

Lectures conseilléesLa servante écarlate, Margaret Atwood

                                     Sorcières : la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet (essai)

Ecrivain Leni zumas
Leni Zumas

 

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A
Très bel article. Je n'ai pas encore lu le livre mais j'ai rencontré l'auteure au Festival America. Elle est tout simplement géniale !
Répondre
L
Merci ! J'imagine que ce fut un instant magique... Quelle chance ! A présent, je ne peux que vous souhaiter une très bonne lecture.
Z
Et bien, je vais noter ce livre
Répondre
L
Vous me direz si ça vous a plu ! Il y a également un essai qui vient de sortir sur sorcellerie et féminisme (lien en lectures conseillées en fin d'article) qui à l'air fort intéressant. Bonne lecture !