19 Septembre 2018
Traduction : Anne Rabinovitch
Editions : Presse de la cité
Prix : 21 euros (prix métropole) / 24.15 euros (prix Réunion)
Où ? : Presse de la cité / Place des libraires
Acheté chez Leclerc Culturel
L'an dernier l'une des élèves de terminale s'est jetée au bas de l'escalier du gymnase, mais, après s'être cassée une côte, elle était toujours enceinte. J'espère, a dit Ro/Miss en cours, que vous savez qui sont les responsables de cette côte cassée : les monstres du Congrès qui ont voté l'amendement sur l'identité de la personne et les lobotomies ambulantes de la Cour suprême qui ont validés l'arrêt Roe v. Wade.
"Il y a deux ans à peine, a-t-elle rappelé - crié, en réalité -, l'avortement était légal dans ce pays, mais aujourd'hui nous en sommes réduites à nous jeter au bas de l'escalier."
Dans les Etats-Unis de demain, l'avortement est depuis maintenant deux ans strictement interdit. L'adoption et la PMA en passe de l'être également pour les femmes célibataires. A Newville, dans l'Oregon, le destin de quatre femmes vont être intrinsèquement lié face à l'oppression publique. Il y a tout d'abord Ro, quarante-deux ans, prof d'histoire "aux ovaires déficients", qui tente d'écrire la biographie d'Eivor, une exploratrice islandaise du XIXe s. éprise de liberté. Puis il y a Susan, femme de Didier et femme au foyer, reléguée au rang de mère, épouse et femme de ménage, n'aspirant qu'a profiter d'un peu de solitude. Mattie, meilleure élève de Ro, promise à un brillant avenir dans le domaine scientifique qui se laisse dépuceler à l'arrière d'une voiture. Et enfin Gin, guérisseuse et herboriste, marginalisée et accusée de sorcellerie pour venir en aide aux femmes. Celles-ci vont se croiser, s'entraider et parfois se juger, mais toujours faire preuve de détermination.
Au cours de l'évolution, les hommes ont-ils appris à être attirés par les femmes minces parce qu'elles n'avaient pas l'air enceintes ? Des formes voluptueuses laissaient-elles entendre que le corps se consacrait déjà à la survie du matériel génétique d'un autre mâle ?
Avec un style intimiste qui peut parfois étonner, Leni Zumas met les pieds dans le plat ! En ne désignant pas le gouvernement actuel, elle ne fait que renforcer l'image qu'elle a de lui. Au bord du gouffre social, elle dénonce l'utilisation et la non-disposition des corps féminins dans un monde de plus en plus conservateur.
Sans détour, la romancière montre l'impact de cette mentalité régressive sur le quotidien de ces femmes dont le courage est égal à leur détermination. Avec subtilité, elle suggère, propose, donne des pistes de réflexions au travers de ces quatre personnages, plus un avec Eivor, non seulement par l'écriture, mais aussi le visuel qui couvre la couverture du roman. De celle-ci, aux différentes nuances de rouge qui évoquent le sang, mais aussi l'anatomie féminine, j'y vois aussi le combat. Le combat d'une génération passée et future pour des droits ignorés et bafoués.
J'ai aimé les protagonistes, leurs différences, leur évolution comme leurs relations contradictoires. De l'amertume des unes, d'autres trouvent la force, la force de dire non, de prendre leur destin en main. Chacune définit sa propre féminité et chacune en est la victime.
Des mots jutes, il m'a fallu un petit temps d'adaptation face à la prose parfois déconcertante de l'auteure. Alors que rien n'est laissé au hasard, on se surprend à espérer, trembler et suffoquer auprès d'elles. Ro, va-t-elle réussir à procréer ? Susan arrivera-t-elle à s'imposer ? La vie de Mattie sera-t-elle réduite à une erreur, et Gin sera-t-elle jugé coupable de sorcellerie ? Autant de questions que de réponses, et plus dans ce très bon roman écrit dans l'urgence d'une situation problématique.
Face à un sujet aussi préoccupant et pour mieux coller à l'esprit du livre, je vous propose un mille-feuille à la framboise ainsi qu'un thé blanc en toute subtilité.
Lectures conseillées : La servante écarlate, Margaret Atwood
Sorcières : la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet (essai)