12 Février 2019
Traduction : Sabine Porte
Editions : Le masque (broché) / Le Livre de Poche (poche)
Prix : 20.90 euros (broché) / 7.40 euros (poche)
Où ? : Le Livre de Poche / Place des libraires
308 pages
Stella Prize 2016
Acheté en librairie indépendante
Que disait-on de ces filles dans leur vie d'avant ? Disait-on qu'elles avaient disparu ? (...)
Dirait-on qu'elles avaient été abandonnées ou enlevées, comme on dit qu'une fille a été agressée, une femme violée, avec chaque fois le féminin au centre, comme si les femmes en étaient elles-mêmes la cause ? Comme si les filles, en vertu de la nature des choses, s'étaient fait cela toutes seules. Elles avaient attiré sur elles le rapt et l'abandon, s'étaient rendues d'elles-mêmes dans cette prison, où elles avaient fait le lit dans lequel elles étaient à présent couchées une fois de plus.
Enfermées dans un endroit inconnu au milieu du bush et soumises à d'humiliantes formes de tortures psychologiques, dix femmes qui ne se connaissent pas vont devoir survivre à cet enfer. Surveillées par trois geôliers imprévisibles, notamment le vicieux Boncer, elles sont tour à tour rasées, habillées de guenilles et enchaînées pour le plus grand plaisir de ceux-ci. Embauchés par une mystérieuse agence, que leur réserve les trois individus ? Les jours passent et l'humanité déserte peu à peu ces jeunes-femmes dont la raison vacille. Parmi elles, nous suivons les pensées de Verla et Yolanda deux femmes au parcours différent, mais liées par la même volonté de résister. A mesure que les jours, les semaines et les mois s'égrènent, un constat s'impose, le mystérieux Hardings qu'attendent les geôliers ne viendra pas. A l'aube de la famine, le vent semble tourner dans le camp...
Étouffant et pesant, avec ce roman Charlotte Wood livre ici un plaidoyer féministe élaboré. Non seulement, elle met en lumière la misogynie ambiante, mais utilise l'escalade psychologique comme démonstration de la perfidie de l'homme. Étrange sous bien des aspects, en se concentrant sur Verla et Yolanda, l'intrigue prend une forme inattendue puisqu'elle renvoie ces femmes à leur identité de genre, mais leur permet également de se confronter à leur nature profonde et ainsi découvrir certains aspects de leur personnalité.
De ce retour à l'état sauvage décrit avec virulence et parfois poésie, la romancière met en opposition le désir que ces femmes inspirent en début de détention et la laideur physique acquise au bout de quelques semaines. J'ai pu sentir l'odeur pestilentielle dégagée par ces corps poisseux, les puces s'attaquer au cuir chevelu ou encore la faim tirailler les estomacs. C'est à travers cette écriture persuasive que les personnages troquent malgré eux le confort de la modernité contre une vie misérable sous le joug de la peur et la domination masculine.
Roman dense, j'ai toutefois été frustrée par des éléments passés sous silence ainsi que des passages assez redondants ce qui, selon moi, n'est que le reflet de l'attente des prisonnières. Toutefois, j'ai plutôt été séduite par une fin ouverte assez intéressante malgré un style littéraire parfois indigeste. Bref, voilà un roman important dans la lignée de la grande Margaret Atwood !
Si ce livre m'est un peu resté sur l'estomac, je propose à sa lecture un pain de maïs qui devrait assez bien convenir à la rusticité nouvelle de ces dix prisonnières !
Lectures conseillées : La servante écarlate, Margaret Atwood