5 Février 2020
Editions : Harper Collins (collection Traversée)
Prix : 17 euros (broché)
Où ? : Harper Collins / lalibrairie.com
226 pages
Service de presse
À distance du monde, une fille et sa mère, recluses dans une cabane en forêt, tentent de se relever des drames qui les ont frappées. Aux yeux de ceux qui peuplent la ville voisine, elles sont les perdues du coin. Pourtant, ces deux silencieuses se tiennent debout, explorent leur douleur et luttent, au cœur d’une Nature à la fois nourricière et cruelle et d’un hiver qui est bien plus qu’une saison : un écrin rugueux où vivre reste, au mépris du superflu, la seule chose qui compte.
Maman et moi vivions ici depuis un peu plus de trois ans quand nous avons reçu le coup de fil. Au milieu des pins, des chênes et des bouleaux, au bout de ce chemin sans issue que deux autres propriétés jalonnent. C’est elle qui m’avait proposé de nous installer ici. Et je n’étais pas contre. J’avais grandi dans cette forêt. Le lieu m’était familier, et je savais que nous nous y sentirions en sécurité. Qu’il serait le bon endroit pour vivre à notre mesure.
De ce huis-clos hivernal et mélancolique, il faut retenir le long et fastidieux travail de deuil qui s’exerce autour de ces deux femmes meurtries. De la perte d'un enfant, la tombe d'une perte de soi se creuse lentement, inexorablement. Et c'est au détour de phrases magnifiques que la réflexion sur l'existence se fait palpable.
Narratrice sans nom, la fille parle de sa mère, cette femme insaisissable dotée d'une honnêteté personnelle sans précédent. Du couple qu'ils formaient avec son père, personnage fantôme relégué à la presque folie, elle décortique peu à peu leur relation pour expliquer la sienne. C'est donc dans une solitude quasi-monacale que ces deux femmes explore leur chagrin respectif, la tristesse en étendard.
J'avais réalisé que je ne savais rien. (...) Comment nos parents s'étaient-ils rencontrés ? (...) De quelle façon s'étaient-ils aimés ? Que s'étaient-ils promis ? Qu'avions-nous, mon frère et moi, attisé ou au contraire fané, en arrivant dans leur vie ? Je ne savais rien. Ni ses luttes à lui pour rendre Maman heureuse, comme elle l'écrivait dans son carnet. Ni ses renoncements qui, peut-être, l'avaient finalement conduit à nous quitter. Saisir soudain tout cela n'avait pas vraiment changé ma vision des choses, si tant est que j'en aie eu une. (...) Je m'étais juste dit que nous avions tous bien tort d'imaginer nous connaître les uns les autres. Nous sommes des mystères qui font mine de se comprendre pour que le monde tourne à peu près. Au-delà, nous sommes, me semble-t-il, plutôt seuls.
De cette atmosphère sauvage où certains sens comme l’ouïe ou la vue sont mis en avant, l'hiver devient un personnage à part entière. Au rythme de la forêt, la Mère et la Fille se confondent à la saison, pour ne faire qu'un, camouflées par une rudesse qu'elles pensent dompter. Mais à l'image des poissons de leur étang envahi par d'épaisses algues, l’asphyxie les gagne peu à peu. Alors que l'esprit s'embrume, l'abattement atteint les corps.
Dépeint comme "nature writing", ce roman très littéraire peut paraître un peu hermétique tant sa langue est soutenue. Mais en le fractionnant en de nombreux et très courts chapitres, Aurélie Jeannin, parvient à alléger son histoire pour mieux la sublimer. Le coup de cœur n'est pas passé loin...
Pourquoi lire ce livre ? Pour qui ?
Alors que les denrées alimentaires se font de plus en plus rare à mesure que la lecture du roman se poursuit, quoi choisir comme gourmandise ? Et bien j'ai misé sur une brioche perdue aux zestes d'orange confit. Peu sucrée cette brioche, relevée par l'acidité de l'orange, saura je l'espère, adoucir le feu hivernal de ses cœurs prisonniers de la morosité.