14 Mai 2023
Avez-vous vu Roland, ce garçon à l'estomac plein de peine ?
Non ? C'est qu'il doit être encore invisible...
Découvrez comment Roland, de 13h à 16h, devient invisible grâce à un pain chocolat tant désiré.
Boulangerie, invisibilité et chat de gouttière se côtoient pour offrir la plus extraordinaire des après-midi à ce timide petit garçon.
"Roland et le pain au chocolat" est un conte rigolo, destiné aux petits comme aux plus grands !
Roland habitait au 112 rue du Maréchal Leclerc.
Roland était un enfant normal avec des parents normaux. Bien qu’il ne sache pas qui était le Maréchal Leclerc, Roland descendait et remontait plusieurs fois par jour cette rue, au gré des entrées et sorties de l’école. En ce froid matin d’avril, le petit garçon ne se doutait pas que cet après-midi, le plus extraordinaire des phénomènes allait se produire. Avant d’en révéler la conteneur, laissez-moi vous expliquer sa nature.
Tous les jours sur le chemin de l’école, Roland passait devant la boulangerie. Aux effluves des pains chauds, se mélangeaient l’odeur des croissants, des pains aux raisins, et merveille d’entre tous, les pains aux chocolat.
Tous les jours, l’enfant partait vers un pays imaginaire fait de douceur et de beurre.
Tous les jours ses poches étaient désespérément vides.
Son ventre répondait à la chaleur de la boulangerie par des cris de peine. Désespoir de sucs gastriques.
Des parents normaux nourrissent leur enfant me direz-vous. Oui mais voilà, la pauvreté étant la norme et les parents de Roland étant normaux, la norme était le cri du ventre, point.
A la sortie de l’école, même rengaine. A l’approche de la boulangerie, les narines dilatées laissaient place à une bouche salivante du fantasme gustatif.
Mais pas aujourd’hui.
Cet après-midi Roland va goûter pour la deuxième fois à l’objet de ses rêves.
Car cet après-midi il sera invisible.
Mais n’allons pas trop vite si vous le voulez bien. Roland avait la particularité d’être un enfant discret, issu d’une famille discrète elle-même et ce, de génération en génération.
- La discrétion est la force d’un bon ouvrier. L’attention est un luxe que notre classe ne peut se permettre si on veut remplir notre assiette, lui disait son père, l’œil humide balayé par un rictus de façade.
Ni particulièrement chahuté ou apprécié, Roland menait une vie sociale à l’image de la famille : docile et solitaire. Il était considéré comme un élève et un camarade moyen. Un enfant normal à l’estomac vide donc, qui criait la réalité de ce monde-ci.
Ainsi, il n’était pas le premier choisi à la balle au prisonnier, mais pas le dernier non plus.
Il n’était pas souvent interrogé par sa maîtresse, jouait à l’occasion avec un camarade et était parfois invité à un anniversaire.
Aujourd’hui, Roland était visiblement plus discret que les autres jours malgré son estomac gargouillant.
Après un déjeuner léger, une soupe claire où nageait un morceau de carotte et un navet anémique, l’enfant repris le chemin de l’école. Baissant la tête et se pinçant le nez au passage de la boulangerie, Roland aperçut une pièce.
Là, sur le trottoir la pièce le fixait.
Un euro. Un tout petit euro qui laissait présager une grande après-midi.
Regardant à gauche, puis à droite, le garçon ne savait quoi faire.
Il hésitait à se saisir d’une richesse qui n’était pas à lui.
Et si la personne qui a perdu ce minuscule euro en avait vraiment besoin ?
Et si en arrivant à la caisse de l’épicerie il lui manquait cet argent pour payer les croquettes de son chat ?
Cela voudrait dire que le chat n’aurait pas de croquettes, qu’il aurait le ventre plein de peine comme lui et qu’il pourrait mourir ? Roland ne voulait certainement pas être responsable de la mort d’un chat.
Mais, à bien y réfléchir, s’il ne se saisissait pas de la pièce quelqu’un d’autre le ferait et adieu délice sucré !
Penché pour la ramasser, le doux parfum du beurre s’immisce jusqu’à ses narines tremblantes de désir.
Dans un geste rapide calculé par la culpabilité, ses doigts se referment sur l’objet rond et brillant.
Ni une, ni deux, il fit la queue devant la boulangerie, l’estomac impatient.
La pièce lui brûlait les doigts, enflammait sa poche et rougissait ses joues.
Au bal des « avec ceci » de la boulangère, Roland se laissait porter par les badauds venus acheter du pain.
De sa hauteur d’enfant, Roland voyait et entendait tout. Les varices de Mme Payet qui serpentent le long de ses jambes maigrelettes. Un trou dans la poche du manteau de Mr Olivier. Ou encore les potins pas toujours glorieux de Mme Dolphin.
Bercé par les discussions, seul son ventre criard venait interrompre le brouhaha, le faisant ainsi apparaître au reste du monde.
Ca y est, enfin son tour.
Entre deux danses de baguettes, la boulangère lui demanda ce qu’il souhaitait. Son estomac grondait.
D’une voix fluette, aussi discrète que sa nature, Roland murmura : « un pain au chocolat s’il vous plaît ».
- Ah bah ça alors, c’est bien la première fois que j’vois un g’min acheter son goûter avant d’entrer à l’école. Remarque, vu le bruit que fait ton estomac…
Honteux et surtout pas habitué à être l’objet de l’attention, le garçon senti un vent de panique l’envahir.
A ce moment-là, il aurait voulu que la Terre s’ouvre en deux et l’avale. Mais si elle l’avalait, comment rentrerait-il à la maison ? Et est-ce qu’il aurait le temps de manger le pain au chocolat ? Tout compte fait, il valait mieux être une souris. Oui, c’est mignon une souris.
C’est alors qu’elle le posa.
Là, sur le comptoir. A portée de main.
Emballé dans une poche de papier kraft.
En le saisissant, il ne put s’empêcher d’en humer le parfum, d’observer ce mille-feuille de pâte qui en son centre cachait un trésor.
Écrasé le long du comptoir par les travailleurs pressés et affamés, Roland ne résista pas à la première bouchée.
O merveille, ô délice !
Juste une bouchée de quoi contenter son ventre. Hors de question de faire preuve de gloutonnerie.
Alors que le sucre lui montait au cerveau, la pièce dans sa poche se rappelait à lui.
Payer. Il faut payer !
Il posa la lourde pièce sur le comptoir, attendant que la main experte de la commerçante s’en saisisse.
Mais rien ne se passa.
L’estomac de Roland contenté par le morceau arraché à la volée ne faisait plus de bruit, laissant entendre des « avec ceci, ou encore, « ce sera tout ? ».
La boulangère, débordée par les mangeurs retardataires ne posa aucunement ses yeux sur la pièce, et encore moins sur Roland.
Prenant son courage à deux mains ou plutôt à une puisque dans l’autre renfermait la gourmandise, il murmura un « madame, s’il vous plaît… » aussitôt étouffé par la commande d’un client.
Alors, un peu plus fort, le garçon poussa l’euro plus loin sur le comptoir. Toujours aucune réaction.
Un peu plus pressé contre la vitre depuis l’annonce imminente de l’heure de fermeture par la commerçante, Roland n’eu d’autre choix que de s’accroupir entre les jambes des clients.
- Ah tiens, j’ai oublié d’encaisser quelque chose apparemment, dit tout haut la boulangère, attrapant la pièce au passage.
- C’est le pain au chocolat, dit plus fort Roland caché entre les jambes couleurs arc-en-ciel.
- Ah oui, le pain au chocolat repéta-t-elle sans voir le jeune garçon.
Tiens, j’entends des voix maintenant !
- La vieillesse vous guette Madame, dit Mr Bât dont le grand âge lui permettait cette affirmation malicieuse.
- La retraite ? Ah ça la retraite… Bah j’suis pas prête de la voir avec leur réforme….
Blablalabla….
Noyé dans les réflexions politiques dont il n’avait que faire, Roland comprit que la boulangère ne le voyait pas. Ni aucun des clients.
Il était 13h, la boulangerie allait fermer et Roland était invisible.
Sortant encore plus discrètement qu’à son arrivée, son ventre un peu plus apaisé, l’enfant était surpris de ce qui venait d’arriver. Etait-il vraiment invisible ? Tout ceci n’était-il pas un énorme malentendu ?
Perdu dans ses réflexions, il n’entendit pas la cloche de l’école sonner. Trop tard, les grilles se refermaient déjà. Cartable sur les épaules et pain au chocolat à la main, Roland prit donc le chemin de sa maison.
Sur le trottoir il dut, à plusieurs reprises, se décaler afin que les grandes personnes ne lui rentrent pas dedans. Pire, il croisa certains parents d’élèves qui ne semblaient pas s’étonner de ne pas le savoir à l’école auprès de leurs rejetons. Peut-être était-ce seulement dû à leur regard vissé à leurs écrans. Roland préférait y voir l’expression de son nouveau pouvoir.
Arrivé chez lui à une heure où personne ne l’attendait, Roland resta seul dans la sombre et vétuste entrée.
- Je suis rentré ! cria-t-il
Personne.
Pourtant il a bien vu le vieux vélo de sa mère dans la cour, garant de sa présence sous le toit familial.
En passant près de Merlin, le chat au pelage plus gouttière qu’Angora, aucune réaction.
Aucun clignement de l’œil, aucun coup de patte punitif du félin.
Il leva la tête vers l’antique horloge. Il était 14h et il était encore invisible.
En se dirigeant vers la cuisine, les notes de sa famine restaient suspendues dans l’air. A gourmandise exceptionnelle, goûter exceptionnel se dit-il en ouvrant le frigo pour y prendre le lait chocolaté réservé pour le petit-déjeuner.
Il rêvassait, abasourdi de vivre cet incroyable après-midi.
Sur un plateau, il dressa un verre plein de saveur cacao et à côté, sur le plus joli des torchons trouvé, amputé d’un morceau, son pain au chocolat. On y voyait encore la trace de ses dents.
Fin prêt pour ce festin de roi, Roland monta le plateau à l’équilibre précaire jusqu’au grenier, chambre dont il avait hérité. La partition de son estomac était si forte qu’elle restait accrochée au vieil escalier branlant.
Dans sa chambre son rêve sucré posé sur le lit, son bras en extension et la bouche prête à décapiter le pain au chocolat, il entendit la porte d’entrée de la maisonnée claquer.
Surpris par cette soudaine intrusion, il n’eut le temps de prononcer un mot. Une ribambelle de sons étaient néanmoins parvenue jusqu’à lui.
- Y’a quelqu’un ? demanda une voix qu’il reconnu comme celle de sa mère.
Alors qu’il s’apprêtait à répondre, son ventre parlait pour lui. Un brouhaha de sucs gastriques anorexiques se fit entendre.
- Roland, c’est toi ? demanda sa maman.
Tandis qu’elle posait le pied sur la première marche, Roland bouche ouverte, poussé dans son élan, refermait ses mâchoires sur la viennoiserie.
Le beurre, conquérant, envahissait ses papilles gustatives pendant que le chocolat les sublimaient.
Quelle délice !
- Y’a plus de bruit, j’ai dû rêver.
Roland regarda son réveil. Il était 15h et il était toujours invisible.
Dévorant son pain au chocolat par petites bouchées successives, interrompues par quelques lampées de boisson cacaotée, Roland arriva fatalement à la dernière. La toute dernière bouchée.
Soudain, il interrompit son geste.
Et si c’était la viennoiserie ? CETTE viennoiserie qui le rendait invisible ? Ne valait-il pas mieux conserver le dernier morceau pour une occasion spéciale ? Il a bien remarqué qu’à chaque fois qu’il en mangeait un bout plus personne ne le voyait. Plus personne ne le voyait ou ne l’entendait ? Ca, il ne saurait le dire avec exactitude.
Oui mais, s’il mangeait le dernier bout, qui dit qu’il ne restera pas invisible pour toujours ? Cette perspective l’effrayait. Ca veut dire que ses parents ne le verront plus, et si ils ne le voit plus ils s’inquiéteront.
Ils penseront qu’il a disparu, pire qu’il a été kidnappé !
Et puis, ils lui manqueraient un peu aussi… Il aimait bien quand maman, parfois le soir lui caressait la nuque du bout des doigts. Pendant les vacances quand il avait le droit de veiller tard, papa et lui regardait de vieux films d’horreur. Alors papa, à défaut d’avoir des bonbons, leur coupait des bâtonnets de carotte à grignoter devant le petit écran. Bah oui, qui dit parent normaux, dit budget normal. Et la réalité de la normalité dans cette famille était la phrase « j’ai pas la bourse à Rothschild ».
Qui était Rothschild, ça Roland ne le savait pas, mais apparemment, ses parents le connaissait bien.
C’était donc décidé, Roland ne pouvait prendre le risque d’avaler le dernier morceau .
Il le reposa sur le plateau, lui-même posé à terre. Repu de son goûter improvisé, le ventre gonflé, il s’endormit.
Alors qu’il rêvait d’aventures et de trésors beurrés, pirate d’une rivière cacaotée, il n’entendit pas ses parents s’inquiéter.
Prévenus par l’école de son absence non justifié, son père était rentré plus tôt de l’usine.
Tandis qu’il appelait tous les numéros de leur répertoire, sa maman pédalait à travers le village en criant le prénom de son fils. Tiré du sommeil par le claquement de la porte d’entrée, Roland finit totalement par se réveiller à l’évocation de son prénom.
- Où peut-il bien être, répétaient inlassablement ses parents.
- Je suis là, dit-il assez fort pour que les mots franchissent le seuil de sa chambre.
Aucune réponse. Il était 16h et Roland était toujours bel et bien invisible.
Doucement, le garçon tendit les jambes pour sauter de son lit. Perplexe, il se demandait comment étais-ce possible d’être encore invisible. Pourtant il avait pris toutes ses précautions et avait bien laissé le dernier bout de pain au chocolat sur le plateau.
En descendant l’escalier il croisa Merlin le chat qui l’ignorait royalement.
Soudain, réveillé après une succulente digestion, l’estomac recommença son tintamarre.
Trompette, batterie et même clarinette étaient de concert. Le chat, paniqué, déguerpissait vers les hauteurs de la maisonnée. Alors que ses parents quelques minutes avant désespéraient à présent, accouraient.
- Roland est rentré, Roland est rentré !!! criaient-ils
- Mais j’étais là…., tentait d’expliquer leur fils
- Nous t’avons cherché partout, où étais-tu ? lui demandaient-ils
Le garçon regarda l’horloge. Il était 16h05 et Roland n’était plus invisible.
Tandis qu’il expliquait sa folle journée à ses parents, Roland se souvint de la relique sur le plateau, preuve de l’aventure du jour. Montant quatre à quatre les marches du vieil escalier, quelle ne fut pas la déception de Roland quand il vit le plateau vide.
- Tu as dû rêver mon chéri, lui dit sa maman. Ce n’est pas grave. Le plus important est d’avoir vécu, autant pour toi que ton estomac, une journée palpitante !
En descendant, il trébucha sur quelque chose qu’il ne vit pas.
- Il faut vraiment qu’on répare cette marche ma chérie, dit le père.
- Au fait, as-tu vu Merlin, c’est l’heure des croquettes, lui répondit-elle.
Des ronrons ils entendirent, mais pas le moindre frottement d’une queue touffue.
A l’abri des regards, Merlin, moustaches luisantes, léchait ses pattes beurrées…
Ainsi s’achève l’histoire de Roland, le garçon invisible de 13h à 16h et débute celle de Merlin, petit voleur de douceur…
Licence. Tous droits réservés
L'oeuvre ne peut être distribuée, modifiée ou exploitée sans autorisation de l'auteur.
Suivez-moi sur Facebook, Instagram et Youtube !